Pour se mettre a l'heure
grecque (joli prétexte), nous sommes en retard pour notre premier rendez-vous,
avec Moisis, journaliste et syndicaliste. Coup de bol, en l`appelant pour le lui
signaler tout penauds, il nous informe du sien. Pour une bonne raison: les
journalistes se mobilisent contre les nouvelles diminutions de leurs pensions
et de leur assurance maladie.
Le temps de signer quelques papiers qu`un collègue lui apporte, Moisis poursuit avec sa casquette de syndicaliste en regrettant l'échec de la lutte des journalistes d'Eleftherotypia malgré la dynamique qu'elle aurait pu initier. Il explique que, chez les journalistes, il y a peu de tradition syndicale et un fort esprit corporatiste parce que, sur plusieurs aspects, leurs conditions de travail diffèrent de celle des autres travailleurs. "Mais maintenant nous sommes des travailleurs comme les autres, nous n`échappons pas aux coupes budgétaires. Nous devons apprendre a nous battre ensemble." Dehors, le rassemblement se termine. Les collègues de Moisis rejoignent les bureaux du syndicat pour préparer l'action du lendemain. Nous filons a notre rendez-vous suivant, toujours à l'heure grecque.
Nous devons nous
retrouver devant le Parlement, place Syntagma, dont les images ont fait le tour
du monde quand des dizaines de milliers de citoyens l`occupaient, en écho au
mouvement des Indigné-e-s de l`Etat Espagnol. Plusieurs banderoles décorent les
grilles et quelques dizaines de militants en drapeaux noirs distribuent des
tracts. Le même décor depuis des mois. Les acteurs qui se relaient.
Les journalistes se sont
déplacés un peu plus loin. Au milieu des fourgons de police, ils déploient leur
banderoles et discutent calmement. Deux femmes nous interpellent: "Faites
savoir ce qu`il se passe ici, parlez de nous chez vous!". Ce sera fait.
Nous échangeons nos adresses mails. Le temps de retrouver Moisis en lui
signalant notre présence: "Nous sommes cinq, avec un grand au t-shirt
rouge et aux longs cheveux" (merci, Marc:))
Moisis nous emmène
dans les bureaux du syndicat grec des journalistes (ESHEA) et nous fait le
topo de la situation, de son point de vue de journaliste: "Il y a de plus
en plus d`aspects totalitaires dans le régime grec". Il nous explique que
le pouvoir se sert des mass medias et des éditorialistes influents pour faire
l'opinion, en prétendant qu`il n`y a pas d`alternative à l`austérité, que ce
que propose la gauche radicale entrainerait la destruction de la société, que
cette même gauche radicale impose la violence dans la rue et ouvre ainsi la
voie aux fascistes d'Aube dorée, ...
Le temps de signer quelques papiers qu`un collègue lui apporte, Moisis poursuit avec sa casquette de syndicaliste en regrettant l'échec de la lutte des journalistes d'Eleftherotypia malgré la dynamique qu'elle aurait pu initier. Il explique que, chez les journalistes, il y a peu de tradition syndicale et un fort esprit corporatiste parce que, sur plusieurs aspects, leurs conditions de travail diffèrent de celle des autres travailleurs. "Mais maintenant nous sommes des travailleurs comme les autres, nous n`échappons pas aux coupes budgétaires. Nous devons apprendre a nous battre ensemble." Dehors, le rassemblement se termine. Les collègues de Moisis rejoignent les bureaux du syndicat pour préparer l'action du lendemain. Nous filons a notre rendez-vous suivant, toujours à l'heure grecque.
Aris nous attend dans
les locaux de son organisation politique, Kokkino (Rouge), une petite
composante de Syriza, la deuxième force politique du pays depuis les élections
de juin dernier. Rassemblant une douzaine d'organisations, certaines au moins à
gauche du Pasok et d'autres plus anticapitalistes, et forte de sa percée électorale,
Syriza incarne pour beaucoup l'opposition aux referendums et à l'austérité.
C'est un réel espoir pour la gauche, au-delà de la Grèce aussi. Mais cette
formation n'est pas exempte d'ambiguïtés et de contradictions. Nous voulons en
savoir plus et Aris nous parle des différentes conceptions politiques et des
rapports de force internes qui influent sur l'évolution du discours, du
programme et de l'attitude face au gouvernement, à la Troika, à l'euro, aux néonazis.
Il nous éclaire aussi sur la nébuleuse très complexe de la gauche radicale en
Grèce, entre scissions et regroupements. Ca mériterait bien un arbre
généalogique.
Nous quittons Aris qui
doit filer rencontrer des profs qui se mobilisent contre les fachos dans leur
école. Nous, on décide de jeter un œil à la fameuse Polytechnio, la faculté de polytechnique
célèbre pour son histoire militante et qui continue à concentrer les étudiants
de dizaines de groupes politiques. Dès que le paysage s'ouvre sur les bâtiments
intérieurs, pas besoin d'être un militant expérimenté pour respirer tout de
suite l'ébullition du lieu. Des tags et des affiches partout: sur les murs,
dans les couloirs, dans les classes. On a l'impression d'entrer dans un décor
de film sur ce que représente mai 68 dans nos imaginaires collectifs. Nous
croisons un jeune de Kokkino, en route pour une assemblée et nous retournons
sur nos pas à la rencontre de Guéric dont l'avion vient d'atterrir.
"On s'attend à
l'angle de Iperou et Tritis Septemvriou". OK. Notre équipe se retrouve au
complet. Nous discutons de la suite de l'après-midi quand nous voyons arriver
de l'autre côté du carrefour quatre flics en uniforme, trois autres en civil,
qui escortent quatre immigrés. Ils traversent. Les flics ordonnent aux quatre
hommes de se ranger contre le mur, juste à côté de nous. Nous ressentons tous
un sale frisson en assistant en direct à une rafle en bonne et due forme. Pas
de violence physique, ok, mais une énorme violence sociale. Des étrangers
traités comme des criminels juste pour leur couler de peau. Le temps qu'un bus
de la police arrive pour embarquer les quatre hommes, les flics en civil en ont
déjà arrêté trois autres dans la rue. L'officier a des attitudes de nazi, le
regard froid, la démarche virile, la voix forte. Les passants poursuivent leur
chemin. Rattrapés par la banalité de la chose. Nous ne pouvons rien faire de
plus que rester là. Rester pour témoigner. Refouler notre envie de crier, notre
envie de frapper, notre envie de vomir.
Encore tous
retournés, nous nous rendons à Nosotros, la maison occupée à côté de la place
Exarchia, à la rencontre de Mihalis, avocat des étrangers et militant
antiraciste. Après l'affreuse introduction que nous venons de vivre en direct
live sur la répression des migrants, Mihalis nous explique le déroulement de
certaines "procédures": campagnes publiques et médiatisées de
"nettoyage" des rues, rafles au faciès pour des contrôles de papiers
aux postes de police, externalisation des centres de rétention jusque dans les
commissariats, passages à tabac et tortures, ou encore gazage des files
d'attentes des demandeurs d'asiles quand ceux-ci se plaignent de devoir rester
debout des heures entières...
Notre première
journée d'entretiens entre syndicalisme, anticapitalisme et antiracisme se
termine ici. Mihalis nous amène chez un ami réfugié Turc où on s'en met plein
la panse avant de retrouver nos camarades de l'OKDE-Spartakos pour siroter
quelques verres de Tsipouro. Sur le chemin du retour vers l'auberge, Mihalis
nous explique que, deux rues plus loin, il y a une église qui accueillait des
étrangers sans argent, sans nourriture, sans toit, sans papiers, sans rien.
Puis, il y a eu un incendie. "Accidentel". Suite à cet
"accident", ils ont changé de prêtre. Un proche d'Aube dorée.
Maintenant, on ne croise plus d'étrangers dans cette église. Tout va
"bien".
Céline, 31 octobre.
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