mercredi 31 octobre 2012

Mercredi 31 octobre - Guéric

Départ pour Athènes hier à l'aube. Je décolle de l'aéroport de Zaventem à 8h50, direction Genève. Une petite heure de transit à Cornavin, le temps de lire quelques journaux suisses pour apprendre entre autres qu'UBS va devoir licencier du personnel à l'étranger et que la municipalité de Lausanne prend des mesures ultra répressives et réactionnaires pour tenter d'y réguler la vie nocturne...


Embarquement dans le vol Swiss à destination d'Athènes. Dans la file, de nombreux passagers seuls et avec un passeport grec. Qui sont-ils? De riches Grecs qui ont planqué leur fortune en Suisse et qui reviennent d'un rendez-vous avec leur banquier? Des Grecs venu rendre visite à leur famille ou amis expatriés ou de la diaspora? Des technocrates qui contribuent à mise à mort de leur pays? Des touristes de retour de Suisse? Sensation étrange. Dans l'avion, les passagers francophones assis juste devant moi discutent immobilier. Parlent-ils de leurs affaires en France ou en Suisse? Ou viennent-ils piller la Grèce? Sensation étrange, toujours.

Je passe la majeure partie du vol à réviser l'histoire contemporaine de la Grèce, ses  dictatures passées et ses résistances exemplaires. L'atterrissage se fait sous le soleil et c'est une véritable vue de carte postale qui s'offre à mes yeux. Le contraste n'en sera probablement que plus fort une fois en ville.

Après avoir récupéré rapidement mes bagages, je rejoins l'auberge de jeunesse. Dès la sortie du metro, ma première vision est un cortège de voitures de police encadrant un fourgon. Les flics sont bien présents également sur la place Karaiskaki. Et ceci n'est qu'un avant-goût de ce qui m'attendra un peu plus tard... Je rejoins Gilles, Céline, Marc, Neal et Alexandra au coin d'Ipirou et de la Rue du 30 Septembre. Alors qu'on discute du programme, nous voyons arriver un groupe de 4-5 migrants (pour parler clairement, des africains) encadrés par des flics en uniforme, mais également en civil. Ils sont alignés contre un mur pour contrôle d'identité. Quelques instants plus tard arrivent un fourgon et ils sont tous embarqués. Nous ne bougeons pas et tentons de passer pour des touristes lambda étudiant le plan de la ville. J'essaie de prendre discrètement une photo avec mon téléphone mais un flic semble le remarquer et je ne prends pas plus de risques. Toute tentative d'intervention ou de résistance de notre part serait vouée à l'échec. Tout ce que nous pouvons faire est rester sur place, montrer que nous voyons ce qui se passe, témoigner et alerter. Ce que nous avons vu s'apparente clairement à une rafle. En plein jour et en pleine rue. De nombreux témoignages illustrent l'augmentation du racisme, les arrestations arbitraires et les violences à l'égard des migrants. J'avais beau y être préparé, y assister dés mes premières heures à Athènes est choquant. Et nous avons tous cette frustration d'assister à un évènement  grave sans pouvoir intervenir. Seulement témoigner.

Nous nous rendons ensuite vers le quartier d'Exarchia pour y rencontrer Mihalis, militant antirasciste et actif dans les associations de défense des migrants. On est dans un quartier jeune et alternatif, peuplé de punks et de bobos, où se côtoient misère sociale et bars branchés. Longue et passionnante discussion. Inquiétante également, car elle confirme la sensation de montée des idées xénophobes et de la tolérance aux idées politiques d'extrême-droite. Le parti néo-nazi Aube dorée, longtemps confiné à l'état de groupuscule mais maintenant présent au Parlement, mène des "opérations balai" et se charge de "sécuriser" certains quartiers, en y interdisant l'accès aux étrangers.


Aube dorée, qui assume clairement ses références nazis (usage du meandros, symbole proche de la croix gammée, salut hitlérien...) semble continuer à bénéficier d'une certaine tolérance de la part de l'appareil d'état et de la bourgeoisie grecque. Le vote pour Aube dorée n'est pas considéré comme honteux, ses électeurs ne ressentent pas de culpabilité de donner leur voix à un tel parti. On serait plus dans une certaine forme de déni: "je vote Aube dorée mais je ne suis pas nazi". Cette attitude par rapport au nazisme et au fascisme trouve ses racines dans l'histoire de la Grèce, qui a connu plusieurs dictatures mais qui n'a pas, contrairement à l'Allemagne, menée de véritable réflexion collective sur ce passé. J'essaierai de revenir de manière plus approfondie sur ce sujet.

Après un excellent repas dans un restaurant tenu par des réfugiés politiques turcs, le reste de la soirée se déroula de manière plus informelle dans un bar du quartier et fut arrosée de nombreux Tsipouro!



Guéric Bosmans, Athènes, 01/11/2012

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