dimanche 4 novembre 2012

Dimanche 4 novembre - Ils sont en train de nous tuer… - Céline

Pendant que les autres profitent encore de leur lit, Marc et moi partons vaillamment vers la station de métro. C’est pas qu’on soit spécialement d’humeur matinale. C’est surtout que la cordiale camaraderie a conduit à désigner Marc comme orateur pour le meeting de l’Initiative pour la sortir de l’euro et de l’Union Européenne auquel Flora nous a invités. Direction Fix Syngrou, pour rejoindre le cinéma Microcosmos où se tient le meeting. Nous arrivons un peu en avance, tandis qu’on nous annonce le début du meeting avec un peu de retard. Au bar, on nous sert un café-filtre (ça change) et nous rencontrons la patronne, une Sévillane qui vit ici depuis 20 ans: "C’est scandaleux ce qu’ils nous font subir, en Espagne ou en Grèce. Qu’ils aillent se faire foutre avec leur austérité!"


Un visage connu apparait: Panagiotis, que nous avons rencontré jeudi. Ca fait bizarre de se retrouver là. C’est un peu comme si nous connaissions déjà plein de monde sur Athènes. Il vient assister au meeting avec sa compagne qui a vécu plusieurs années à Bruxelles. Elle travaille dans l’édition et la crise ne l’épargne pas. Nous nous échangeons les bons plans: "il parait que les espagnols qui travaillent dans ce secteur arrivent encore à trouver du travail… en Argentine". Et nous discutons encore de la gravité de la situation: "Un prof ne gagne plus aujourd’hui que 700 euros, la moitié de son salaire, pour donner cours dans des locaux sans chauffage, avec des enfants qui parfois sont affamés", "On nous impose de payer des taxes supplémentaires avec l’électricité. Si nous ne les payons pas, on nous coupe le courant. Si nous ne payons toujours pas, on saisit la somme exigée directement sur notre compte en banque". 

Un des organisateurs du meeting que nous avions rencontré avec Flora vient saluer Marc: "Comment tu comptes te présenter?" – "Ben, comme militant politique de l’organisation sœur d’Okde-Spartakos" – "Ha oui… mais tu n’est pas aussi au syndicat? Ce serait mieux de te présenter comme syndicaliste parce que, ici, ce n’est pas un meeting partidaire, tu sais." – "Bof, je préfère pas, je suis simplement affilié et depuis pas longtemps." – "Bon, d’accord, fais comme tu veux… " Il prend connaissance de l’intervention de Marc qu’il nous a demandé de lui fournir en version papier pour faciliter la traduction. Il lit. No comment. On sent le débordement d’enthousiasme… 

Marc s’installe à la tribune et prend la parole dans une salle qui s’est entre-temps remplie d’une soixantaine de personnes. Il s’écarte du thème principal, sur la sortie de l’euro, pour axer plutôt son discours sur la nécessaire solidarité internationale. Il parle de la similitude entre la situation grecque et la situation dans l’Etat Espagnol. Mais il évoque aussi la vague d’austérité qui touche les pays "du nord" comme la Belgique. Même si les attaques prennent des formes différentes, nous sommes tous dans la même galère. Nous quittons la salle après son intervention. Tout un meeting en grec quand on ne comprend pas deux mots, ça risquait d’être un peu rasoir. 

Pendant que les autres sortent de leur lit pour aller rencontrer Maroussa et discuter du mouvement des Indignés, nous récompensons nos efforts matinaux par une petite ballade touristique du côté de l’acropole. Nous grimpons par le quartier d’Anafiotika. Petites maisons blanches et fleuries, ruelles étroites, super vue sur la ville qui s’étend à nos pieds. Ca fait un peu carte postale. Il n’y a personne dans les guichets d’entrée du site. Nous apprendrons par la suite que, les premiers dimanche du mois, l’accès est gratuit. Ca tombe plutôt bien. Depuis la colline du Pnyx, chouette vue sur l’acropole, qui fourmille de monde. Ca nous décourage de monter jusque là et nous redescendons par l’ancienne agora. 



Au milieu des échoppes de bibelots attrape-touristes, nous croisons un flic super équipé, qui vient d’arrêter une jeune femme et attend l’arrivée de son collègue. Plus loin, nous passons devant la cour d’une église orthodoxe où un petit groupe discute d’on ne sait pas quoi, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Munis de brochettes achetées à un vendeur ambulant et d’une bonne bière fraîche, nous nous installons finalement sur la place Eletherias. Derrière nous montent les rumeurs de discussions animées dans le local du parti Vert aux fenêtres ouvertes. Nous poursuivons notre ballade entre magasins asiatiques et africains vers l’avenue Athinas. Dans une rue, un attroupement. Une équipe filme la scène d’un téléfilm. Plus loin, un vieil homme qui pousse une charrette de fruits et légumes s’énerve sur un jeune gars d’une chaîne de restaurant qui se moque de lui. Au marché aux poissons, nous faisons une pause bouffe au restaurant où nous étions jeudi. Pas de moussaka aujourd’hui. Dommage. Mais on se rattrape sur un délicieux poisson grillé. Il nous reste un peu de temps avant notre prochain rendez-vous et nous décidons de retourner à l’auberge pour une bonne petite sieste. 

A 17h30 nous retrouvons les autres au local d’Okde-Spartakos pour la dernière interview de notre séjour. Tassos, Manos, Nicolas, Iro, Kleanthis, Mike, Andreas et Aris nous brossent le portait de notre section grecque et de la façon dont elle tente de relever les défis de la période: combattre les néonazis, recaler les plans d’austérité, faire converger les luttes … Nous avons une bonne discussion sur l’état de la gauche radicale en Europe et la coordination de nos interventions à travers la 4e Internationale. Trois heures plus tard, nous nous séparons sans oublier d’échanger du matériel militant. 



Pour terminer notre séjour en beauté, nous avions prévu d’aller au concert de solidarité avec les 15 militants antifascistes pour les aider à couvrir leurs frais de plus de 10.000 euros. Mais, sur place, des amis nous préviennent que c’est sold-out: des centaines de personnes attendent dehors. Nous préférons donc aller trainer dans les rues d’Exarchia avec Khleantis. Assis comme tout le monde sur les pavés entre les mobilettes, nous vidons quelques bières, en T-shirt, dans la douceur d’une soirée d’automne athénienne. Plusieurs jeunes récupèrent nos vidanges pour les échanger contre les 10 centimes de consigne. Nous sifflons nos derniers tsipouros avec Mike, au rez-de-chaussée du local de Spartakos. Le patron du bar, un militant antiraciste, revient justement du concert: "Vous avez raté quelque chose, c’était super".


Vraiment pas envie de partir le lendemain. D’autant plus qu’une grève de 48h est annoncée à partir du surlendemain. Nous envisageons la possibilité que la grève nous empêche d’atteindre l’aéroport. Mais, apparemment, les bus rouleront. Pas d’excuses. De retour à l’auberge, excités par la perspective d’une grève de 48h qu’on aimerait bien mener en Belgique aussi, nous demandons à l’employé ce qu’il en pense. D’un coup, il nous ramène à la dure réalité, celle qui ne donne plus du tout envie de rire: "C’est la seule façon. Ils sont en train de nous tuer". Un frisson. Mélange de désenchantement, d’exaspération, de rage, à l’image d’un peuple qui accuse les coups mais qui continue de refuser de poser ses deux genoux par terre. – Céline, 4 novembre 2012.

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