C'est sur la place Syntagma que nous devons retrouver Panagiotis, blogueur de greek crisis. Nous sommes tous impatients de rencontrer cet ethnologue du terrain qui brosse avec tellement de justesse un portrait de la vie quotidienne du peuple grec. En se dirigeant vers un café plus au calme, nous passons devant l'arbre où Dimitris Christoulas a choisi de se suicider en avril dernier, sans autre alternative que le désespoir. Un arbre presque banal, si ce n'est des traces de tags et deux marques rouges. Jusqu'aux dernières élections, les citoyens venaient déposer là tous les jours des fleurs, des messages, des affiches. Puis les autorités ont décidé de tout effacer, essayant de balayer sous le tapis le souvenir des victimes du système. Comme si elles n'existaient pas. Comme si elles n'avaient jamais existé. Comme si elles ne nous ressemblaient pas. Comme un crachat de plus en pleine figure.
Dans un café un peu bruyant quand même, nous discutons pendant trois heures. La première question qui nous taraude: nous entendons souvent de ce côté-ci de l'Europe: "En Grèce, s'ils se révoltent, c'est parce qu'ils sont tellement dans la merde qu'ils n'ont plus rien à perdre. Ici, en Belgique, on n'est pas encore assez attaqués pour se décider à se bouger vraiment". Panagiotis nous explique que l'automaticité de la lutte n'existe pas: "Depuis deux ans, chaque bulletin d'info est comme un peloton d'exécution. Tous les jours, nous nous demandons comment survivre. Quand la misère est là, quand on n'a plus sécurité sociale, plus de liens sociaux, on est face à la mort, on devient vulnérable, décomposé, on ne peut plus lutter. Ce n’est pas une crise, c’est une guerre! Ils veulent faire de la Grèce une zone franche en Europe. C’est le monde du travail qui est en ligne de mire. La meilleure solidarité que vous puissiez développer, c'est de vous battre chez vous contre le même ennemi". La faim commence à se faire sentir et Panagiotis nous quitte en nous conseillant un petit restaurant dans le marché aux poissons. Moussaka, poivrons farcis et poisson grillé.
Attablés à la terrasse d'un café, Antonis et Tassos nous parlent de la nécessité d'organiser les citoyens, au-delà de la gauche et de la droite. Un peu comme ce qui s'est passé sur la place Syntagma, où la rencontre s'est créée et où sont nées plusieurs initiatives qui persistent jusque maintenant mais qui ont suscité aussi beaucoup d'espoirs déçus, les personnes mobilisées sur place attendant surtout qu'on les aide. Sur la montée des néonazis, ils soutiennent une théorie qui nous laisse un peu perplexe: "Aube dorée pourrait arriver au pouvoir, mais, dans ce cas, à l'image de Laos, elle n'y resterait pas longtemps parce que les partis traditionnels n'en auraient plus besoin. Notre rôle est d'affronter les fachos dans des combats de rue, pour montrer au gouvernement qu'on n'a pas peur d'eux et qu'il est inutile d'utiliser les fachos contre nous."
Le soir est tombé et nous rejoignons à Exarchia notre camarade de l'OKDE-Spartakos, Kleanthis, étudiant à la polytechnique. Il nous emmène à la fac où se tient le meeting mensuel des étudiants organisés dans des groupes politiques. Sur place, nous retrouvons Thanassis, Nicolas, Iro et quelques 300 étudiants rassemblés pour toute la nuit – "ça durera au moins jusqu'à 3 heures du matin" nous confie Kleanthis. A l'intérieur, ça ressemble plus à un squat qu'à une unif. Les salles de cours sont décorées de tags et d'affiches politiques. Tout au fond, dans l'auditoire, l'assemblée a commencé depuis deux heures. Salle comble. Sans micro, tant pis pour les quelques filles qui prennent la parole mais qui n'ont pas la voix qui porte. Avec de longues interventions en général, soutenues par des "shhuuutttt" des partisans de l'orateur pendant qu'une partie des étudiants sagement assis à leur pupitre discutent tranquillement entre eux. Thanassis introduit Alex et Neal qui expriment au nom de notre petite délégation belge un message de solidarité internationale. Même combat, expériences à partager. Et sentiment grisant d'une connivence forte, au-delà des frontières. C'est dans de tels moments qu'on se réjouit de faire partie d'une organisation internationale, de pouvoir rencontrer nos camarades dans d'autres pays, pour soutenir leurs luttes et retrouver de l'énergie pour les nôtres.
Vers une heure, nous rentrons à l'auberge où nous comptions établir notre QG de rédaction. Crevés mais super enthousiastes. Nous discutons de la mise à jour du blog et nous rendons compte qu'internet ne fonctionne plus... ça risque d'être plus compliqué que prévu. Mais, demain, on se prend une pause.
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